Médico-social : l'équipe mobile, un modèle innovant testé par l'Adapei de l'Ain

En 2025, 150 000 postes étaient vacants dans le domaine médico-social, soit près d'un quart des emplois du secteur, selon l'Unapei. Face à ce constat, l'Adapei de l'Ain a choisi d'innover :  plutôt que de multiplier les recours à l'intérim, l'association a créé une équipe mobile inédite, intervenant sur deux établissements. Une approche qui stabilise les équipes, améliore la qualité d'accompagnement et ouvre de nouvelles perspectives professionnelles. Retour d'expérience avec Bruno Passard, directeur de territoire ouest, et Charlotte Bellaton, employée de service éducatif.

« Renforcer les équipes titulaires et constituer un groupe de professionnels aguerris »

Près de Bourg-en-Bresse, les deux maisons d'accueil spécialisées (MAS) Les Montaines et Montplaisant accueillent 120 résidents adultes en situation de handicap mental, ayant besoin d'accompagnement dans les gestes de la vie quotidienne. « Depuis la crise du Covid, on a constaté de nombreux départs et des postes vacants, explique Bruno. Dans un premier temps, nous avons compensé ces absences avec des intérimaires, mais cela a eu un impact direct sur la qualité des prestations : ils intervenaient ponctuellement et avaient une connaissance limitée des publics. Cela pesait aussi sur les équipes de titulaires, contraintes de réexpliquer en permanence les besoins de chaque résident à de nouvelles personnes. »

C'est pour répondre à ces enjeux que l'idée d'une équipe mobile a émergé. « Cette équipe devait à la fois renforcer les équipes de titulaires sur les deux établissements et permettre, petit à petit, de constituer un groupe aguerri à la prise en charge des résidents, afin de compléter positivement les plannings, poursuit Bruno. L'objectif était aussi de favoriser un échange de pratiques : l'équipe mobile peut transposer ce qu'elle observe d'un groupe à un autre. »

Des profils « intéressés par le travail auprès de personnes en situation de handicap »

Depuis le lancement du projet en décembre 2024, deux vagues de recrutement ont permis d'intégrer 15 accompagnants et deux infirmières. L'originalité de ce dispositif ? « Habituellement, chaque professionnel est affecté à un seul établissement ; ici, il intervient sur deux, précise Bruno. Cette mobilité entre les deux MAS apporte une richesse incomparable : les professionnels découvrent différentes pratiques, diversifient leurs expériences et ne s'enferment pas dans la routine. »

Pour accompagner cette montée en compétences, l'Adapei mise sur la formation terrain et le tutorat. « Nous organisons une réunion mensuelle dédiée au pilotage de l'équipe mobile. Toute l'équipe s'y retrouve pour partager les informations, échanger et ajuster nos pratiques. L'idée est de partir de ce qu'ils vivent au quotidien », explique Bruno. Les équipes travaillent également à l'élaboration d'un parcours de formation qualifiante en partenariat avec deux centres de formation.

Pour renforcer cette dynamique, l'Adapei a également ouvert ses recrutements à des profils variés, y compris non diplômés. « Des personnes pas forcément formées mais intéressées par le travail auprès de personnes en situation de handicap et par la dimension de nursing, pour lesquelles nous nous engageons à assurer une formation sur le terrain, avec un tuteur », précise Bruno. Embauchés en CDI, ces candidats peuvent ensuite bénéficier de formations ad hoc et qualifiantes.

Un projet qui « change la donne » pour les équipes comme pour les résidents

Les effets se font déjà sentir dans les MAS. « L'arrivée de l'équipe mobile a changé la donne, observe Bruno. Par exemple sur les pratiques d'affichage ou sur l'amélioration des outils de transmission. L'un des établissements a aussi fait évoluer sa manière d'intégrer un nouveau salarié. À la suite d'une proposition de l'équipe mobile, nous avons créé des badges permettant de montrer qu'ils ne sont pas des intérimaires. À moins d'un an d'expérimentation, nous avons encore beaucoup à confirmer, mais le sentiment général, c'est que ça fonctionne ! »

L'impact est également positif pour les résidents. « Certains, capables de communiquer, nous disent que voir toujours les mêmes visages les rassure, parce qu'on connaît bien leur prise en charge, confirme Charlotte. Et pour nous, c'est valorisant : quand on passe d'un établissement à l'autre, certains nous reconnaissent et se souviennent de notre prénom.

« Être formés sur le terrain, c’est l’idéal »

Pour Charlotte, le médico-social est presque une histoire de famille. « Avant, j'étais manageuse adjointe dans une boulangerie, rien à voir avec le handicap, sourit-elle. Mais ce secteur m'a toujours attirée parce que ma mère y travaille. Je n'avais jamais osé me lancer car je n'étais pas diplômée. Rejoindre l'équipe mobile a été une vraie opportunité. »

Après un premier entretien avec une cadre de l'association et une chargée de recrutement, elle rencontre l’Adapei de l’Ain puis décroche son CDI. « Ce qui me motivait, c'était le social, l'aide à la personne. Travailler auprès de personnes en situation de handicap est une vraie leçon de vie. Ils nous apportent énormément. Être formés sur le terrain, c'est idéal : on bénéficie d'une formation pratique mais aussi théorique », explique-t-elle.

Au bout d'un an dans l'équipe mobile, Charlotte pourra s'orienter vers une formation d'aide-soignante ou d'accompagnante éducative et sociale (AES). « Il y a aussi des formations proposées tout au long de l'année. Moi, j'aimerais devenir éducatrice spécialisée et cette opportunité m'a vraiment permis de vérifier que ce milieu professionnel me convient », précise-t-elle.

« Comme on est mobiles, on n’entre pas dans la routine »

Ces premiers mois dans un nouvel environnement de travail ont confirmé son choix. « Comme on est mobiles, on n'entre pas dans la routine. On ne travaille pas avec les mêmes collègues ni les mêmes résidents. On découvre aussi toutes sortes de handicaps », résume-t-elle. Cette variété fait toute la richesse du poste.

Ses débuts ont néanmoins demandé un temps d'adaptation. « C'était intimidant ! On arrive sans diplôme, face à des professionnels expérimentés. Mais les résidents, eux, se moquent du diplôme, tant qu'on est là pour les aider », souligne-t-elle. Ses appréhensions portaient notamment sur le nursing : « Finalement, nous sommes là pour les accompagner. Sans nous, ils ne pourraient pas accomplir certains actes essentiels. »  

Depuis, Charlotte a noué de nombreux liens. « On partage beaucoup de choses, raconte-t-elle. Quand on passe d'une structure à l'autre, ils nous demandent comment s'est passé notre week-end. Ils m'ont aussi appris à ne plus me soucier du regard des autres, parce que cela ne les préoccupe pas ! »

« J'aime vraiment ce que je fais, poursuit-elle. Travailler dans le handicap est très gratifiant. L'équipe mobile est une belle opportunité : on est bien accompagnés et les cadres sont à l'écoute. On n'est jamais seuls. Cette expérience m'a permis d'entrer dans le médico-social et de confirmer que c'était ma voie. »

« Les métiers de l’humain sont une aventure collective »

Le bilan est également positif pour Bruno, tant sur le plan organisationnel que sur celui du recrutement. « Avec cette nouvelle équipe, on apprend et on avance ensemble, observe-t-il. Nous avons préparé une grille d'évaluation pour clarifier nos attentes et accompagner la progression de chacun. »

Les recrutements ont eux aussi évolué dans les deux établissements. « Nous avons ouvert notre manière de recruter, et cela a créé une nouvelle dynamique. Certains candidats ont été orientés vers d'autres services. Et cela a suscité des envies dans d'autres structures. Les retours sur investissement sont très valorisants et montrent une fois encore que les métiers de l'humain sont une aventure collective », conclut-il en souriant.