« Évoquer son handicap d’entrée de jeu peut éviter les malentendus au travail »

C’est le propre d’un handicap invisible : il ne se voit pas. La souffrance n’en est pas moins réelle pour les personnes concernées. Surtout quand le trouble reste méconnu, voire mal perçu, par le grand public. A l’image de la bipolarité, l’une des principales causes de handicap selon l’OMS.

Stéphanie, assistante de production et d’appui commercial chez BNP Paribas, a décidé de lever le tabou autour des maladies mentales. Sans rien cacher de ses difficultés, elle revient sur son parcours et sur l’accompagnement dont elle a bénéficié dans son entreprise.

« Au début, j’étais dans le déni »

« Je suis entrée chez BNP Paribas en 2006. Ǫuatre ans plus tard, j’ai été diagnostiquée bipolaire. Au début, j’étais dans le déni : pour moi, je n’étais pas malade. J’ai souvent changé de postes au fil des années, sans mesurer l’impact de mon handicap sur mon travail et mes collègues », témoigne Stéphanie.

En 2016, Stéphanie rejoint l’APAC (agence de production et d’appui commercial) de Val-de-Fontenay, où elle reste longtemps au même poste. « C’est là que j’ai pris conscience des conséquences de ma bipolarité. Je pouvais être très colérique, avoir des altercations avec mes collègues et responsables, tenir des propos inappropriés. »

« Mon attitude désinvolte n’était qu’une façade »

La bipolarité se manifeste par des variations importantes de l’humeur, alternant le plus souvent entre des phases d’excitation et de dépression. « En phase haute, je peux tout faire, tout me permettre. Je réfléchis à toute vitesse et j’ai l’impression d’avoir toujours raison. Ce qui, au travail, se traduit par des attitudes excessives. »

A l’inverse, les phases dites « basses », se traduisent par des idées noires et un manque d’énergie. « Concrètement, je suis au fond du trou. Au début, j’arrive à travailler, mais je finis toujours par être arrêtée quelque temps. »

Avant d’annoncer son handicap, Stéphanie cherchait à compenser. « J’affichais une attitude désinvolte, mais ce n’était qu’une façade. Mes collègues avaient tendance à me taquiner car j’étais souvent absente. J’en riais avec eux mais intérieurement, j’étais blessée. C’est difficile de se dire que des gens avec qui on passe autant de temps ne nous connaissent pas vraiment. »

« Je n’ai pas tout de suite prononcé le mot « bipolarité »

Après une phase « haute » d’un an et demi, Stéphanie s’effondre brutalement. « C’est comme si on avait appuyé sur la touche « off » d’un interrupteur. » Cette fois, elle décide d’en parler à sa responsable. « Je n’ai pas tout de suite prononcé le mot « bipolarité ». J’ai simplement dit que mes capacités diminuaient, que je ne me sentais plus capable d’effectuer mon travail comme avant. »

Sa manager la met aussitôt en relation avec la médecine du travail et avec la Mission Handicap de BNP Paribas : « Un bilan cognitif m’a alors été proposé avec un organisme spécialisé qui aide les personnes porteuses d’un handicap psychique à s’adapter. »

Stéphanie bénéficie ensuite d’un coaching axé sur la communication non violente. « Je l’ai suivi toutes les deux semaines durant six mois. Cet accompagnement m’a aidée à mieux m’intégrer dans l’équipe et à me responsabiliser. »

« Je craignais d’être stigmatisée mais c’est tout le contraire »

La Mission Handicap cherche aussi à la soulager au quotidien. « Côté RH, j’ai une fiche de poste adaptée, avec des attendus légèrement moins élevés que les autres. Honnêtement, je ne m’y attendais pas. Je craignais d’être stigmatisée mais c’est tout le contraire. On a continué à me proposer des projets intéressants, je ne me suis pas sentie à l’écart. »

Stéphanie a aussi bénéficié de plusieurs aménagements matériels et organisationnels. « J’ai un casque avec plusieurs niveaux de sourdine pour m’isoler en open space. Je peux aussi réserver un bureau pour me recentrer et télétravailler deux jours et demi par semaine. On m’avait proposé plus de jours, mais j’ai besoin de lien social donc je préfère garder du présentiel. »

« Parler de mon handicap m’a libérée »

Mise en confiance par ce suivi personnalisé, Stéphanie décide de révéler son handicap. « D’abord à ma manager, puis à l'adjointe et au responsable de mon département. Le directeur a tenu à être présent quand je l’ai annoncé à mon équipe. Mes collègues ont été touchés par mon témoignage, certains m’ont dit : “Maintenant, je comprends mieux ton comportement”. »

Le Groupe a ensuite organisé une formation sur le handicap invisible à destination de tous les services de mon département. « L’animatrice m’a laissé prendre la parole sur ma bipolarité. Plusieurs collègues sont venus me voir après mon intervention en me disant : “Moi aussi j’ai un handicap invisible mais je n’ose pas le dire. Tu es courageuse”. Bien sûr, chacun fait comme il l’entend, mais pour ma part, en parler m’a libérée. Je me sens plus apaisée et mes collègues aussi, car ils n’ont plus de sentiment d’injustice face à certains aménagements. »

« Je n’ai pas eu d’incident depuis quatre ans »

Stéphanie mesure le chemin parcouru depuis l’annonce de son handicap. « Le coaching m’a vraiment aidée car je n’ai pas eu de comportements inadaptés depuis quatre ans. L’atmosphère est plus sereine et bienveillante. Ǫuand mes collègues me voient en petite forme, ils préviennent ma responsable pour qu’elle soit attentive. On ne me met pas la pression si je suis moins productive certains jours. »

Si c’était à refaire, Stéphanie parlerait de son handicap bien plus tôt. « Je pense que c’est important de le dire. Cela permet à l’entreprise et aux collègues de s’adapter et de mieux comprendre certaines réactions. Évoquer sa situation d’entrée de jeu peut éviter les malentendus au travail. C’est plus facile de parler de son handicap dès le début que de l’annoncer plus tard ! »