Les cadres à la fois "dominants" et "dominés" dans l'entreprise ?

Les cadres sont-ils nécessairement du "côté du salariat, mais symboliquement du côté du capital" ?, comme l'écrit l'économiste Frédéric Lordon. Placé du même côté de l'échiquier politique, le sociologue Gaëtan Flocco a cherché à comprendre pourquoi cette catégorie de salariés ne se rebelle pas, ou peu, et adhère aux lois marché du travail telles qu'elles sont aujourd'hui. Plus ou moins dupes de leur "condition de dominés", l'auteur estime que les cadres s'y résignent, voire qu'ils participent avec enthousiasme à "leur propre exploitation".

Analyse pertinente ou "proposition peu consistante" comme lui reproche la fondation Jean Jaurès pour qui l'auteur enchaîne les "préconceptions idéologiques" ?

Pour reprendre le titre de votre ouvrage, pourquoi les cadres acceptent-ils leur servitude ?

Afin de rendre intelligible leur servitude, je me suis inspiré de l'analyse de Pierre Bourdieu qui employait la notion de "dominants-dominés" pour désigner la catégorie des intellectuels et universitaires. Cette dernière incarnait selon lui fraction dominée de la classe dominante. Dans l'entreprise, les cadres se soumettent comme les autres salariés à l'autorité professionnelle mais par leur statut ils se sentent également différents. Leur niveau intermédiaire dans l'organisation les rend dominants par rapport aux ouvriers ou aux employés mais ils sont dominés par ceux qui dirigent et possèdent les outils de production. En cela, ils sont, eux-aussi, dans une position de servitude.

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Les cadres perçoivent-ils cette domination ? 

Cela dépend des personnes que j'ai pu interroger mais la plupart refusait cette analyse car cela revenait à les assimiler aux fractions subalternes de travailleurs desquelles ils tiennent à se démarquer. D’autres, soit parce qu'ils n'ont pas eu de promotion ou bien ont vécu un conflit avec leur hiérarchie, faisaient au contraire part de leur désillusion et avaient conscience de la dégradation de leur condition sociale de cadre, jusqu'à ne plus voir de différences, parfois, avec les autres salariés. Un cadre qui faisait très probablement parti du comité de direction d'une entreprise avait lui une vision très claire et distanciée des choses : avec une analyse très critique sur la menace exercée par les orientations financières de son entreprise, l'exigence de taux de rentabilité à deux chiffres, etc. L'âge joue probablement sur leur vision du monde du travail : les plus jeunes adhérent peut-être plus facilement aux discours de leur entreprise ou craignent que l’expression de critiques ne viennent bloquer leur carrière.

Comment expliquer ce sentiment de déclassement chez certains ?

Depuis les années 1960, la part des cadres est passée de 5 à 15 % des actifs. En parallèle de cette explosion des leffectifs, un grand nombre d’entre eux n’exerce aucune activité d’encadrement. Il y a un sentiment de banalisation et de dévalorisation du statut cadre aujourd’hui alors même qu'il conserve des spécificités.

> Quelle est l'origine du mot cadre ? 

Le statut cadre fait donc encore rêver ?

À tout le moins, c'est un statut qui compte toujours. Les étudiants à qui l'on promet des postes d’encadrement à l’issue de leurs études y sont par exemple sensibles. Il y a un statut, avec des avantages matériels mais aussi symboliques, qui les distingue encore nettement des autres salariés. Quant à la manière de voir l'entreprise, même si les cadres se plaignent peut-être davantage que par le passé, ils adhérent en grande partie au projet de leur entreprise. Certains observateurs ont parlé de crise de confiance chez les cadres, de prolétarisation de la catégorie, voire de cadres rebelles, mais, selon moi, ils se placent toujours davantage du côté de la direction.

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Les syndicats patronaux et de cadres sont en pleine négociation sur ce statut que l'on dit à bout de souffle...

Ce détricotage annoncé peut correspondre à ce sentiment de banalisation du statut que l’on trouve chez certains cadres aujourd’hui. Il y a également de plus en plus d'entreprises qui mettent en place des organisations dites libérées, qui tentent d'aplanir la pyramide hiérarchique, du moins dans les discours. Car l'organisation pyramidale demeure la plus commune dans les entreprises. Tant que l'on reste dans le système capitaliste, je ne vois pas en effet comment il serait possible de supprimer toutes formes de hiérarchie. La logique de direction et la nécessité de relayer le pouvoir jusqu’aux niveaux inférieurs va perdurer.

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