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REPORTAGE : comment retrouver un emploi après la prison ?

Par Léo Ferté • Publié le

Cela fait 10 ans que l'association Wake up Café œuvre à la réinsertion des personne détenues. On est donc allés leur poser quelques questions !

REPORTAGE : comment retrouver un emploi après la prison ?
Seuls 16 % des ex-détenus ont trouvé un emploi dans l’année qui suit leur libération © Wake up Café Marseille

«Demain j’ai un entretien chez Decathlon, je suis content de ouf !» Après avoir fait le tour d’un centre commercial bien connu du centre de Marseille pour déposer son CV, Kevin* est heureux, presque surpris. « J’espère juste qu’ils ne me demanderont pas de travailler en short ! », plaisante-t-il. Malgré les 27 degrés et le soleil de plomb qui s’abat sur Marseille en ce dernier week-end d‘été, Kevin ira à l’entretien en pantalon : il tient à faire bonne impression, et ne veut pas que l’employeur remarque le bracelet électronique qu’il porte à la cheville. Bénéficiant d’un aménagement de peine après avoir passé 20 mois en détention, le jeune homme de 22 ans n’a pas perdu de temps pour chercher un job. Pour preuve : une petite dizaine de jours seulement sépare sa date de libération de ce premier entretien. 

Une véritable prouesse, quand on sait qu’en moyenne, seuls 16 % des ex-détenus ont trouvé un emploi dans l’année qui suit leur libération**. Cet exploit sur le point d’être transformé, il le doit à une personnalité affable et un ton posé, mais aussi à une association qui l’accompagne dans sa recherche d’emploi « Si c’est allé aussi vite, c’est parce qu’ils m’ont aidé sur tout : la lettre de motivation, le CV, préparer l’entretien… ».

Préparer l’après

Comme environ 2 300 ex-détenus avant lui, Kevin est accompagné dans sa recherche d’emploi par l’association Wake up Café, en l'occurrence par son antenne marseillaise. Du lundi au vendredi, elle accueille des wakeurs (les bénéficiaires) dans ses locaux de la Belle de Mai, un quartier connu comme étant à la fois l’un des plus pauvre de France et un haut lieu de la culture marseillaise, à cheval entre le centre-ville, la gare Saint Charles et les fameux quartiers nord.

Emmanuel Roy est responsable de site depuis l’ouverture en 2022. Installé à l’ombre du patio de l’association, il explique : « En général, on entre en contact avec les détenus dès la détention, grâce à un fort partenariat avec le SPIP (Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation), c’est hyper important pour créer un lien de confiance. De là, on fait en sorte qu’ils se projettent le plus possible vers la sortie. »

C’est d’ailleurs l’une des spécificités de l’association : un accompagnement “dedans / dehors” : « Au sein des établissements pénitentiaires, on mène des programmes sur la connaissance de soi, la citoyenneté et le projet professionnel. On a même fait venir des entreprises pour aller à la rencontre des détenus. » Saint-Gobain, Ikea et d’autres entreprises ont ainsi poussé les portes blindées des Baumettes, le centre pénitentiaire de Marseille, pour présenter des postes à pourvoir aux détenus… Et parfois même signer des promesses d’embauche, qui seront honorées en fin de peine. 

Une partie des détenus travaillent en prison : en 2022, selon le ministère de la Justice, c’est le cas pour 30% de la population carcérale (avec un salaire compris entre 20 et 45% du SMIC). « Certaines entreprises sous-traitent une partie de leur production en centre pénitentiaire, souvent dans des secteurs en tension : on essaye de les encourager à le faire davantage, car travailler en détention, c’est primordial pour préparer l’après, ne serait-ce que pour garder un rythme normal. »

Le choc de la sortie

Parmi les détenus qui travaillent en détention, on trouve aussi les auxiliaires de l’administration pénitentiaire, les “auxis”, employés directement par la prison. Pascal était l’un d’eux, il servait le repas à ses co-détenus, avant d’être libéré et de rejoindre l’association : « Wake up Café, c’est comme une famille », assène-t-il, avant même d’être assis. Ce père de famille revient de loin : une fois sa peine purgée, il a dû retrouver un emploi en urgence. Pas si facile quand on a la cinquantaine et qu’on a passé près d’une décennie entre quatre murs. Enfin installé, il allume une cigarette avant de se remémorer : « J’ai fait le tour des agences d’intérim, et j’essuyais refus après refus : pas assez qualifié, pas assez d’expériences à faire valoir. Je me suis même dit “à quoi bon être sorti ?”. C’est à ce moment-là que Wake up Café m’a aidé à faire la demande pour passer le CACES. » Ce certificat d’aptitude pour pouvoir conduire et utiliser des chariots élévateurs (financé par France Travail) a tout débloqué : une fois en poche, il a pu trouver du travail en intérim : « L'entreprise était contente de moi, donc au bout de trois mois, on m’a embauché en CDI . »

Pascal est loin d’être le seul à s’être retrouvé complètement démuni en sortant de prison, comme le rappelle Emmanuel : « La sortie de prison, c’est un choc, par exemple pour ceux qui, comme Pascal, ont des enfants, il faut déjà se reconnecter au contexte familial ! Et puis après une longue peine, on se dit : “mais qui va bien vouloir m’embaucher ?” »

Méandres administratifs

Le chemin peut s’avérer très long avant de trouver un emploi pour un ex-détenu, notamment à cause du mur administratif qui s’est érigé pendant sa détention. L’association accompagne donc les bénéficiaires pour remonter la pente, c’est le rôle d’Élisa, chargée d’insertion : « Sans accès à internet et globalement déconnectés du monde extérieur, les détenus n’ont généralement pas pu remplir leurs obligations administratives pendant leur détention. Ils sortent libres, mais parfois sans carte vitale, sans papiers d’identité… Tout renouveler, ça peut prendre plus de six mois ! En général, il faut aussi rouvrir un compte bancaire, mais pour ça il faut des garanties… » Problème : sans papier en règle et sans RIB, les anciens détenus ne peuvent pas travailler, « Heureusement, on a des aides comme le contrat engagement jeune (mis en place par les missions locales) ou le RSA. »

Emmanuel résume : « Avant de chercher un emploi, il faut en effet se dépêtrer de ces méandres administratifs. Certains s’arrêtent là et replongent, ils ont besoin d’argent dans l’urgence, notamment parce qu’ils ont contracté des dettes avant ou pendant leur détention (en 2021, le Secours catholique estime que deux tiers des détenus sont endettés.). Les autres s’accrochent et font part d’une résilience incroyable, c’est d’ailleurs un trait de caractère qu’on retrouve beaucoup chez les wakeurs ».

Pour pallier cette urgence financière, beaucoup s’orientent vers des métiers non qualifiés en tension, comme la préparation de commande ou la livraison. « Notre but, c’est aussi d’élargir leur horizon professionnel, et de leur montrer que d’autres métiers existent. Chaque semaine, on a des sociétés qui viennent présenter leurs métiers, on organise des visites d’entreprise et surtout on étudie les possibilités de formations financées par France Travail ou les missions locales », explique Emmanuel. Les wakeurs sont suivis de près par Marion et Adèle - chargées d'emploi - qui les accompagnent sur la définition de leur projet professionnel et sont en lien quotidien avec les recruteurs de la région.

 

© Wake up Café Marseille

Réparer le lien entre détenus et entreprises

Avec une trentaine de boites partenaires, rien que sur la région marseillaise, l’association retisse un lien détenu-employeur pas toujours évident : « Il faut voir qu’une grande majorité des détenus ont, par exemple, fait face à un père absent, et entretiennent des rapports souvent très compliqués avec leur famille… ce qui se traduit par un rapport conflictuel à l’autorité, décrypte Emmanuel. Ils la retrouvent ensuite en prison, mais elle est souvent mal vécue, car elle est complètement subie. En entreprise c’est différent car elle peut faire évoluer et être porteuse d’émancipation ».

Cette appréhension, on la retrouve aussi côté entreprises : « Pour faire simple, on retrouve les mêmes préjugés que le grand public, avec notamment la peur du criminel… Alors qu’en vérité ça représente une faible proportion de la population carcérale ! Il y a un vrai besoin de rassurer les boîtes avec lesquelles on travaille : on accompagne surtout des gens qui ont commis des délits, parfois même mineurs comme des conduites sans permis, et qui ont purgé leur peine. »

Chaque semaine, des entreprises se déplacent dans les locaux de l'association. © Wake up Café

Des parcours (déjà) cabossés

« On s’assure aussi que le détenu a vraiment envie de tourner la page. » Une tâche pas toujours évidente : « Ça veut dire couper le lien avec certaines de leurs fréquentations... Et parfois renoncer à un certain niveau de vie ». Une précision tout sauf anodine, car à Marseille le trafic de stupéfiants rapporte gros. Très gros, même : certains réseaux peuvent dégager jusqu'à 80 000 euros de chiffre d'affaires par jour. Un “guetteur” débutant peut se voir proposer un salaire compris entre 100 et 200 euros par jour. 

«On est sur un territoire qui a la spécificité de compter un grand nombre de jeunes détenus, explique Emmanuel. Certains n’ont que 22 ans et ont déjà des parcours cabossés, avec pas mal d’allers-retours en prison à leur actif. [...] Ils sont parfois complètement enfermés dans des schémas de délinquance qui leur font dire en sortant de prison “soit j’y retourne, soit je vais me faire tuer ». Un constat glaçant : en 2023, le parquet de Marseille a comptabilisé 49 morts et 117 blessés dans les guerres du trafic.

Il poursuit : « Ceux-là ont besoin d’encore plus d’accompagnement, car le plus souvent ils n’ont jamais côtoyé le monde de l’entreprise, et sont plus fragiles notamment en ce qui concerne les addictions. Ils disent souvent qu’ils ont besoin de cadre, c’est pour ça qu’ils viennent vers nous. D’ailleurs certains vont tester la solidité de ce cadre, mais c’est normal. De notre côté, on essaye de ne pas les lâcher sur certaines choses qu’ils devront respecter en entreprise, comme les horaires, typiquement. »

Youssef fait partie de ces jeunes au parcours déjà tortueux, malgré ses 24 ans : quand on lui demande combien de temps il a passé en prison, il reste évasif mais laisse entendre qu’il l’a déjà visité plusieurs fois, « pour des petits délits ». Arrivé à Marseille à l’âge de 4 ans, il ne possède pour l’instant que la nationalité marocaine, et a entamé les démarches administratives pour pouvoir travailler en France. Alors en attendant, il suit une formation de réparateur informatique, et participe aux ateliers collectifs proposés par Wake up Café : ce matin, c’est une simulation d’entretien d’embauche. Youssef s’en est plutôt bien sorti, à en croire les applaudissements soutenus qui viennent sonner la fin de son entrevue : « C’était presque parfait, complimente Héloïse, la bénévole qui chapeaute cet atelier, par contre lorsqu’on te demande si tu as de l’expérience en réparation, développe, n’hésite pas à détailler ce que tu as déjà fait, c’est un sujet que tu maîtrises maintenant ».

 

Diner organisé dans le patio de l'association avec la communauté Wake up Café © Wake up Café

Redonner confiance

Avocate en droit du travail la semaine, Héloïse mène sur son temps libre des ateliers d’entretiens d’embauche en groupe ou individuels. Pour la quasi-totalité des wakeurs présents aujourd’hui, c’est une découverte : « Ils n’ont jamais passé d’entretien avant, donc on reprend tout à zéro : la posture, bien présenter… Et surtout parler d’eux de manière valorisante, c’est le plus gros travail de fond». L’avocate déplore le manque de confiance lorsqu’il s’agit d’évoquer leur parcours. « On y travaille, notamment à travers des débats collectifs, où l’on apprend à exprimer ses idées.»

Mais comment justifier les périodes de détention face à un employeur, avec des trous parfois long de plusieurs années ?  « C’est à l’initiative de chacun d’évoquer ou non sa détention, explique Emmanuel. La plupart préfèrent ne pas en parler, d’autres décident de se libérer de ce fardeau, et d’être transparents avec leur entreprise ». Un secret pas toujours facile à tenir, surtout lorsque l’ex-détenu se voit équipé d’un bracelet électronique ou qu’il est en semi-liberté et attendu au centre pénitentiaire après le travail. « Ceux qui ont travaillé pendant leur détention peuvent combler ces trous dans le CV en expliquant qu’ils ont bossé avec telle entreprise ou suivi tel cursus professionnalisant, sans forcément évoquer la prison. »

L’association, qui fête cette année ses dix ans, enregistre d’impressionnants résultats : seuls 12% de ses bénéficiaires retournent en détention. En comparaison, en France, 59 % des ex-détenus sont recondamnés dans les cinq ans qui suivent leur libération***, dont un tiers dans les douze premiers mois. 

Avant de quitter les locaux, on tombe sur un tableau blanc, sur lequel sont inscrites les bonnes nouvelles de la semaine : « Nordine a signé un contrat et a emménagé dans son nouvel appartement », « Audrey a effectué des missions de nettoyage au Vélodrome, avec Amine (qui est libre !) ». Emmanuel les parcourt d’un regard satisfait, marque un silence, puis explique : « C’est important pour les nouveaux wakeurs de voir ça en arrivant, que chaque semaine ce sont plusieurs ex-détenus qui font un pas vers un avenir meilleur »

 

*Tous les prénoms ont été modifiés, à l'exception des salariés de Wake up Café

**source : ATIGIP (Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle)

***source : Ministère de la Justice

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