« Aucune machine ne possède la dextérité et la finesse d’un outilleur »

Au cours des dernières décennies, l’industrie a troqué une image héritée de la Révolution industrielle par celle d’usines du futur. L’automatisation, la robotique et l’électronique font désormais partie du quotidien de nombreux travailleurs du secteur. Pourtant, certains métiers exigent toujours des savoir-faire traditionnels. Nous avons visité les usines de Volvo Group, près de Lyon, pour découvrir l'un d’eux : celui d'outilleur sur presse d'emboutissage.

A notre entrée, une atmosphère distinctive imprègne l’air, mêlant l’odeur caractéristique de la graisse mécanique, les sons métalliques et les bips réguliers des chariots de manutention. Éric nous accueille, casque anti-bruit sur les oreilles et chaussures de sécurité aux pieds, lui qui a embrassé sa carrière presque par accident, en 1989 : « J’ai commencé comme apprenti sans rien connaître du métier, raconte-t-il. Après neuf ans à l’outillage, j’ai passé un an aux méthodes comme dessinateur industriel, puis j'ai occupé le poste d'outilleur responsable technique d’affaire en production, pendant dix ans. » C’est après un détour de deux ans en Espagne, dans le cadre d’un projet de développement d’une nouvelle cabine poids-lourd, qu’Éric rentre dans le Rhône et évolue aux fonctions de team leader, puis chef d’équipe du secteur outillage.

Des actions curatives, préventives et prédictives

Maquette à l’appui, Éric nous explique ce qu’est l’emboutissage : donner sa forme définitive à une pièce en métal, grâce à l’utilisation d’une presse d’emboutissage et d'un outil. Une grande partie des pièces métalliques des cabines des camions Renault Trucks, filiale de Volvo Group, est fabriquée dans cette usine.

Son équipe, qui fonctionne en 3x8, entretient les 480 outils du site. La moitié d’entre eux sont utilisés sur des ‘presses moyennes’, l’autre sur des ‘très grosses presses’. « On procède de trois manières, explique-t-il. Tout d’abord, en mode curatif, c’est-à-dire lorsque les outils ont rencontré des problèmes pendant la production. On stoppe la ligne, puis on dispose de 20 minutes pour identifier et résoudre le problème, remettre l’outil en place et faire redémarrer la ligne. C’est environ 20 % de notre temps. »

Les actions entreprises sont également préventives : « Certains outils sont en service depuis longtemps et ont besoin d’un fréquentiel d’entretien adapté », continue Éric. Prédictives, aussi : « Pour cela, on se concentre sur les outils qui fonctionnent parfaitement et qui sont régulièrement déplacés entre la zone de stockage et la presse en production. On les inspecte, une fois par an, dans notre atelier. »

Pour les novices : une immersion métier suivie d’un apprentissage de plusieurs années

Le métier d’outilleur reste très « artisanal », souligne Éric. C’est pourquoi, une expérience dans le milieu industriel peut être un atout, car « ces candidats ont déjà les bases, c’est-à-dire savoir fraiser, tourner, meuler, etc. Aucune machine ne possède la dextérité et la finesse d’un outilleur. C’est donc la première compétence que je recherche. En revanche, les enjeux sont différents en fonction du profil. Dans mon équipe, j’ai un outilleur en reconversion professionnelle, excellent en menuiserie. Sans le voir travailler, je savais déjà qu’il était précis. S’il peut sculpter le bois, il peut manipuler l’acier », illustre-t-il.

Éric le précise : « On peut venir d’un tout autre horizon professionnel. » Ces candidats, en particulier, bénéficient d’un module d’intégration qui débute par quelques semaines d’immersion métier afin de valider leur appétence pour ce poste. « Ils peuvent intervenir sur les outils, tout en étant accompagnés. A la fin de cette immersion, s’ils souhaitent continuer, ils rentrent dans une période d’un an de formation sur les basiques du métier ponctuée de 3 évaluations puis entament une période d’apprentissage de plusieurs années ».

« L’outillage n’est pas une science exacte »

Le métier d’outilleur comble les âmes curieuses : « C’est un métier pour lequel il faut savoir rester humble, même avec beaucoup d’expérience. L’outillage, ce n’est pas une science exacte : le geste dépend de l’outil, de la qualité de la matière, et de multiples paramètres. », ajoute Éric. Et c’est avant tout un savoir-faire de terrain : « On est à la fois tourneur-fraiseur, rectifieur, soudeur, pontier, etc. »

Le quotidien nécessite une grande polyvalence, de même qu’une bonne condition physique. « On doit être capable de manipuler des éléments parfois lourds (NDLR On a essayé, et on vous le confirme !). Éric tient à préciser qu’une femme peut bien évidemment postuler : « Le tout est d’être en bonne forme physique ».

Avec des outils de parfois 30 tonnes, une concentration permanente est indispensable. A l’outillage, la sécurité occupe une place importante « Réparer un outil, c’est aussi garantir la sécurité de la personne qui va s’en servir après nous », insiste Éric.

« Il faut avant tout aimer travailler de ses mains »

Pour être outilleur, il faut avant tout aimer travailler de ses mains. Mais, en quelques décennies, l’outillage a tout de même connu des changements, pour le meilleur : « Tous les outils sont désormais équipés de capteurs électroniques qui vont aider soit l’opérateur devant la machine, soit le robot qui doit charger les pièces et prévenir si elles ne sont pas bien en place. C’est davantage de sécurité et cela évite les grosses réparations. Le changement de ligne de presse est aussi facilité avec l’automatisation. Par le passé, on devait tout tirer à la main à l’aide d’immenses chaines et cela prenait plus d’une heure. Désormais, cela se fait plus rapidement », éclaire Éric.

Un métier très technique donc, et valorisé au sein de l’entreprise. « Un outilleur expérimenté peut se déplacer au niveau national et international pour les besoins du service. Je suis moi-même allé en Suède, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Chine et en Corée », liste Éric. Mais pour lui, le temps des voyages est terminé : « Il faut que je transmette mon savoir aux autres. Nous avons actuellement plusieurs outilleurs en Chine et deux autres en formation de metteur au point dans le nord de la France. »

Dans l’équipe, les phrases sont courtes mais la solidarité prime. La raison ? La profession peine à attirer les vocations. « Depuis 20 ans, il n’y a plus de diplôme d’outilleur sur presse d’emboutissage à proprement parler en France. Il y a surtout des formations internes aux entreprises. Pourtant, les besoins sont réels, on est sûr d’avoir du travail et une rémunération attractive à la clé ! »

A travers notre discussion, on perçoit sans peine l’amour d’Éric pour son métier et son envie de le transmettre. « Un candidat qui a l’esprit mécanique, qui aime monter, analyser, réparer, aura la satisfaction de se dire qu’il a réussi à apporter une solution, seul ou en équipe. C’est particulièrement valorisant ! » conclut-il.