INTERVIEW. Comment (re)donner du sens au collectif en entreprise ?
« Une entreprise, c'est à la fois la plus belle des communautés et la plus dure à faire »

De l’histoire millénaire d’un monastère aux traditions des Samis, dernier peuple autochtone d’Europe, en passant par une école dans la forêt, Hugo Paul s’est plongé dans le quotidien de plusieurs communautés à travers le monde et transmet, dans son livre Faire Tribu, les principes fondateurs de la coopération. Et quel endroit plus approprié que l’entreprise pour tenter de retrouver le sens du collectif ? « Dans l'essence même de l’entreprise, il y a l’idée que sans le collectif, cela ne peut pas fonctionner. »
Bonjour Hugo, c’est quoi ton métier ?
Aujourd’hui, je me définis comme un explorateur de communautés, c'est-à-dire que je pars à la rencontre d'une diversité de collectif pour partager l'art de faire ensemble. C’est un métier qui n’existe pas en tant que tel, je me le suis créé moi-même (rires).
Est-ce que tu peux présenter ton parcours ? Qu’est-ce qui t’a poussé à voyager à travers le monde pour rencontrer des communautés ?
J’ai passé une grande partie de mes études d’ingénieur dans des engagements associatifs, pour favoriser l'intégration des enjeux environnementaux au sein des cursus universitaires. J’ai activé plusieurs leviers à cette époque : politiques, académiques, économiques… Je me suis vite rendu compte que toutes ces initiatives reposaient sur le collectif. Or, le collectif possède à la fois l'incroyable pouvoir de faire de la plus petite des idées un véritable changement social, mais en même temps, si on n’a pas les bons outils, les bonnes méthodes, la plus belle des idées peut devenir un véritable fiasco.
En janvier 2022, quand je reçois mon diplôme d’ingénieur, je fais ce bilan et je me prends une claque. Car on est à un moment de l’Histoire où l’on doit répondre à des défis climatiques et écologiques immenses, qui appellent de grands changements sociétaux, systémiques. Et on ne peut y répondre que d’une seule manière : collective. Pourtant, on est dans une phase que j’appelle « la crise du nous » : la société n’a jamais été aussi individualiste. Quel paradoxe ! C'est au moment où l’on a le plus besoin de faire ensemble que l’on n’a jamais aussi peu réussi à faire ensemble… C'est là que cette quête du faire ensemble m’a semblé évidente, où j’ai décidé d'aller m'immerger dans des communautés pour comprendre réellement comment on pouvait réapprendre à faire communauté. C’est de là qu’est née cette exploration.
Est-ce que tu as percé le secret de la coopération humaine ?
J'aimerais avoir découvert LE secret qui change le monde. Mais, spoiler, ça n'existe pas. J’ai formulé 10 grands principes, que j’ai observés dans pratiquement toutes les communautés et qui permettent de réapprendre à faire ensemble. Ce sont des clés d’action que chacun peut se réapproprier en fonction du contexte, de la culture. Dans une entreprise, une famille, un quartier, une association. En fait, ces principes sont déjà en nous. Il s’agit surtout de les réapprendre. Nous sommes des homo sapiens et si nous en sommes là aujourd’hui, c’est parce qu’on sait coopérer. C’est une fonction évolutive chez l’humain, mais également un besoin fondamental : l’appartenance. Avoir des relations « nourrissantes », c'est même l’un des premiers facteurs de bonne santé et de bonheur.
Deux principes sont essentiels à comprendre. D’abord, une communauté est fractale. C'est-à-dire que toute communauté est en fait composée de sous-communautés. Si on prend un groupe de 100 personnes, il y a en son sein des communautés de 20 personnes, à l’intérieur, des groupes de 10, et ainsi de suite. Si je prends l'exemple d'une entreprise, il y a des équipes, des départements, puis toute l’entreprise. Le sentiment d'appartenance survient via ces différents espaces restreints. Pour faire communauté, on doit d’abord créer du lien entre les communautés de même échelle, par exemple les différentes équipes. Ensuite, comment créer du lien entre les différents niveaux d’échelle ? Par exemple, entre tous les départements d'une entreprise. Ces rapports d’échelle sont essentiels. Une organisation bien connue qui le fait très bien, ce sont les Compagnons du Devoir. Et leur système fonctionne depuis le temps des cathédrales…
Deuxième principe : une communauté définit précisément qui en fait partie et qui n’en fait pas partie. C’est le même principe qu’une cellule et sa membrane. Un collectif doit avoir sa membrane pour définir ce qui est dedans et ce qui est dehors. Surtout, définir comment on y rentre et comment on en sort. Pour reprendre l'exemple d'une entreprise, il y a généralement un processus pour y rentrer qu’on appelle l’onboarding, c’est-à-dire l’accueil d’un nouveau membre. Mais ce qui est peu commun, c’est de vérifier que la personne soit vraiment faite pour la communauté : c’est à cela que sert une membrane. Et on oublie souvent que cela va dans les deux sens. On parle toujours de ce que la personne peut apporter à l’entreprise, mais pas de ce que l’entreprise peut apporter à la personne. C’est le secret de l’engagement dans un collectif : le juste milieu entre les besoins et les ressources que peut apporter la personne, et les besoins et les ressources que peut lui apporter la communauté.
Retrouvez les 10 grands principes dans le livre Faire Tribu et en vous abonnant à la newsletter de Hugo Paul

Une entreprise, c’est une communauté comme les autres ?
C'est à la fois la plus belle des communautés et la plus dure à faire. On pense souvent qu’une entreprise n’a que son seul chiffre d’affaires pour objectif. Mais si on se recentre sur la question du « pourquoi on crée une entreprise ? », on se rend compte que n’est pas pour faire le meilleur CA, mais parce qu'on a envie de créer quelque chose, de résoudre un problème, et qu’on ne peut pas le faire seul. Dans l'essence même de l'entreprise, il y a donc l’idée que sans le collectif, cela ne peut pas fonctionner.
Une entreprise, c'est un savoir-faire collectif, un savoir-faire ensemble qui s’articule sur le long terme. C’est un point important. Si je sais que les personnes avec qui je travaille, je vais les côtoyer plusieurs années, je vais prendre beaucoup plus soin de ces relations que si je compte partir au bout de 3 mois… Lors mon séjour dans un monastère, le doyen de la communauté, le frère Irénée, 92 ans, m’a dit : il faut savoir passer de l’efficacité à la fécondité. Pour moi, une entreprise, c’est exactement cela. Un collectif qui doit être fécond. On ne respecte pas l’ordre du jour lors d’une réunion ? Ok, on n’est pas efficace sur le moment. Mais il y a peut-être un enjeu humain à traiter maintenant et si on ne le fait pas, dans deux ou trois réunions, ça risque de péter. L’efficacité ne doit pas toujours être le but premier.

Parmi toutes les communautés que tu as rencontrées, quelle est celle qui t’a le plus marqué ?
J'ai eu la chance de pouvoir vivre avec les Samis, dernier peuple autochtone d'Europe, qui vit en Laponie. Depuis plus de 12 000 ans, ils transmettent leurs connaissances et culture de génération en génération.
Ils ont plein de méthodes et de techniques, à travers l'art ou l'artisanat. Mais ce qui m'a profondément marqué, la chose dans laquelle on peut tous se retrouver, ce sont les feux de camp. Cela parait tout bête mais il n’y a aucune journée qui ne se termine pas sans un feu de camp, même lorsqu’il fait -30 degrés dehors. Tout le monde s’y retrouve, du plus jeune au plus âgé. Cela permet de créer du lien et de transmettre, pas de manière descendante, mais en ayant un véritable échange. C’est au travers de ces feux de camp que survit leur culture à travers les âges. C’est en rentrant en France que je me suis fait cette réflexion : ils sont passés où nos feux de camp ? En entreprise, on a des machines à café. Mais elles n’ont pas été pensées pour créer du lien, c’est un lieu de passage. Je milite pour qu’on retrouve des lieux inclusifs, conviviaux, pour créer du lien et de la transmission.

Qu’est-ce qui manque aux entreprises aujourd’hui pour redevenir des collectifs où les salariés s’engagent pleinement ?
Pour tirer le fil du feu de camp, je pense qu’aujourd’hui, on manque de rituel pour rythmer son engagement dans l’entreprise. Lorsqu’on signe son contrat, on s’engage à suivre la communauté, à remplir sa mission, à partager une vision. Mais il n’existe pas de moment pour réaffirmer son engagement. Donc on oublie parfois au fur et à mesure pourquoi on s'est engagé. Ce serait pourtant l’occasion d’alimenter son feu intérieur de l’engagement mais aussi pour la communauté d’alimenter le feu de ses membres.
En entreprise, on devrait avoir des moments, des espaces, où l’on peut dire : cela fait un an que je suis dans la communauté, je veux me réengager et voici pourquoi. Quand on signe un CDI, on s’engage au début et puis par la suite, on a très peu d’espaces ou de rituels pour s’interroger : pourquoi je suis là ? Est-ce que je crois toujours en ma mission ?
Un collectif a-t-il forcément besoin d’un leader ? Qu’est-ce tu as découvert sur ce rôle lors de ton voyage ?
Il y a autant de manières de gérer un collectif que de collectifs et d’avoir, ou non, un chef. Dans toutes les communautés que j'ai rencontrées, il y avait une vision différente du leader. Par exemple, l'école dans la forêt est très horizontale. A l’inverse, les moines ont une organisation très hiérarchique où le chef s'appelle le père abbé. De manière statutaire, il est le père de la communauté, composée de frères.
En revanche, ce que j'ai remarqué, c'est que peu importe la structure hiérarchique, il y a toujours des leaders, des personnes qui prennent en main le collectif de manière instinctive, car le collectif en a besoin. Une étude est parue dans la Harvard Business Review sur l’efficacité des équipes, une étude portant sur près de 1000 équipes à travers 19 pays. Le premier facteur d’efficacité était clairement la confiance dans le leader. Cette confiance repose elle-même sur deux éléments : une mission claire et le sentiment d’être à son plein potentiel en tant que membre de l’équipe.
Même dans les communautés qui refusent la hiérarchie, il y a des leaders naturels qui se dégagent. Mais il peut y en avoir plusieurs, sur différents savoir-faire, à différents moments. Il y a un point qui est essentiel selon moi et que les managers devraient garder en tête : le pouvoir ne s’abandonne pas, il se transmet.
Pour continuer à explorer la puissance du collectif, vous pouvez retrouver les apprentissages d'Hugo au sein de son livre Faire Tribu (Editions Eyrolles)
- X
Sur la même thématique
Préparez-vous à
décrocher votre job !
155 000
CV lus en moyenne chaque jour, soyez le prochain à être vu !
soyez visible auprès des recruteurs
916 382
offres en ce moment, on vous envoie celles qui collent ?
soyez alerté rapidement
Toutes les offres d’emploi
- Paris
- Lyon
- Toulouse
- Marseille
- Nantes
- Bordeaux
- Rennes
- Lille
- Strasbourg
- Nice
- Montpellier
- Aix-en-Provence
- Dijon
- Grenoble
- Angers
- Reims
- Annecy
- Metz
- Tours
- Nanterre
- Accueil
- Média de l'emploi
- Être bien au travail
- INTERVIEW. Comment (re)donner du sens au collectif en entreprise ?
{{title}}
{{message}}
{{linkLabel}}